Mémoire vivante d’un sanatorium oublié
Situé au pied du sanatorium de Lac-Édouard, le Jardin des Soupirs constitue un témoignage rare et précieux des jardins hospitaliers aménagés au début du XXe siècle au Québec. Ce jardin, implanté dans un contexte de soins et de convalescence, s’inscrit dans la mouvance d’une approche humaniste de la médecine qui valorisait les bienfaits du contact avec la nature, du travail horticole et de la beauté vivante pour accompagner la guérison.
Contrairement à un jardin purement ornemental ou à une composition paysagère rigide, le Jardin des Soupirs présente un caractère semi-structuré, adapté au site et à ses occupants. Il était bordé, dès l’origine, par une allée de pierre blanche menant à l’entrée principale du bâtiment hospitalier. Cet axe structurant aboutissait à un bassin de jardin en béton, encore visible aujourd’hui, qui constituait un véritable cœur symbolique et contemplatif du jardin. Ce bassin, aux angles nets et à la conception robuste, comporte des trous d’évacuation pour réguler le trop-plein d’eau. Sa préservation remarquable témoigne d’une grande rigueur architecturale et fonctionnelle dans sa conception. On y cultivait vraisemblablement des plantes aquatiques à vocation à la fois ornementale et médicinale, comme les sagittaires, les prêles, ou les iris d’eau.

Une des premiers jardins thérapeutiques au pays
Né vers 1910 au cœur de la Haute-Mauricie, sur les berges du lac Édouard, le Jardin des Soupirs est l’un des plus anciens exemples de jardin thérapeutique au Québec. Conçu à proximité immédiate du premier sanatorium dans la province, il témoigne d’une époque où la nature, la lumière, le calme et le travail horticole faisaient partie intégrante des soins apportés aux personnes atteintes de la tuberculose. Dans un climat rude de zone 2B, sur un haut plateau à 400 mètres d’altitude, ce jardin s’est épanoui pendant un demi-siècle comme un espace de beauté et de résilience. Dès les premières années du sanatorium, les dons de plantes, de fleurs et d’arbustes affluent. On y aménage un bassin d’eau en ciment avec fontaine, un kiosque de bois et une majestueuse allée bordée de fleurs nommée l’Allée des Soupirs. Des pins sylvestres sont plantés pour leurs effluves réputées curatives. Les patients, le personnel et même les religieuses y participent : ils plantent, entretiennent et observent. Ce lieu devient à la fois un refuge, un outil de soin, et un prolongement du bâtiment hospitalier. L’architecture du jardin s’inscrit dans une vision thérapeutique héritée des modèles européens, notamment suisses et français, où les jardins étaient conçus comme des espaces de circulation douce, d’exposition au soleil et de contemplation. Les tracés étaient simples mais soigneusement définis : allées rectilignes bordées de fleurs vivaces, perspectives dégagées depuis les galeries de repos, organisation autour de points focaux comme le bassin, la fontaine ou le kiosque. Ce jardin n’était donc pas un parc décoratif, mais un espace structuré selon les principes d’hygiène, d’ensoleillement et de calme favorables à la guérison. Le jardin s’insérait dans un ensemble architectural cohérent : le sanatorium principal, bâtiment de bois de trois étages à galeries ouvertes, faisait face au jardin et orientait les patients vers l’extérieur. D’autres pavillons, tels que le pavillon des femmes complétaient ce dispositif. Le jardin était donc le prolongement fonctionnel de ces constructions, autant lieu de marche que de repos ou de thérapie active. Ce jardin, bien qu’aucun plan formel d’aménagement n’ait été conservé, était pensé. Les photos d’époque montrent un souci d’harmonie, d’accessibilité, et de diversité végétale. Le jardin faisait partie intégrante du projet architectural et thérapeutique du sanatorium, jusqu’à son apogée dans les années 1930, quand plus de 200 patients et 100 employés y vivaient en autarcie. Abandonné à la fermeture du sanatorium en 1968, l’espace a été lentement repris par la forêt boréale.



Les Belles d’autrefois
Mais en 2013, la Ferme Boréale Lac-Édouard rachète le site et entreprend de restaurer son patrimoine agricole et horticole. Le jardin renaît : l’allée est dégagée, le bassin remis en fonction, des bâtiments reconstruits. Plus d’une trentaine d’espèces anciennes sont
identifiées, dont certaines rares ou exotiques (comme un œillet des Chartreux originaire du Caucase). Ces plantes sont multipliées et réimplantées par le propriétaire, lui-même pépiniériste. Aujourd’hui, le Jardin des Soupirs est à un tournant. L’histoire, les espèces redécouvertes et les structures encore présentes justifient une restauration complète, à la fois sensible, scientifique et artistique. Un projet est envisagé pour imaginer son avenir : un jardin de mémoire, de biodiversité et d’hortithérapie moderne, en harmonie avec les bâtiments restaurés du sanatorium.
Le site tout entier, d’environ 400 mètres d’altitude et exposé à un climat rigoureux de zone 2A, a accueilli un ensemble d’espèces végétales dont certaines ont survécu plus d’un siècle. L’inventaire contemporain a révélé une très grande richesse floristique : lilas communs, pivoines anciennes, menthes odorantes, ciboulette rustique, rhubarbe ancestrale, scabieuses géantes et hémérocalles fauves — toutes liées à l’histoire de la culture horticole au Québec dans la première moitié du XXe siècle.
Les ancolies, qui forment aujourd’hui de vastes tapis aux teintes multiples, semblent avoir été laissées à elles-mêmes pendant plus de cinquante ans. Leurs croisements spontanés ont produit des variétés d’une grande diversité chromatique, allant du violet profond au lavande panaché, suggérant une origine mixte entre Aquilegia vulgaris et ses variétés horticoles européennes, cultivées depuis le XIXe siècle dans les jardins conventuels.



Un jardin architectural
L’implantation du jardin s’inscrit également dans une logique architecturale plus vaste : les chemins bordés de grands peupliers hybrides formaient de longues perspectives, inspirées des jardins thérapeutiques français. Le choix des arbres, leur alignement, la présence de bancs et la vue sur le lac étaient autant d’éléments pensés pour accompagner la marche, la pause, l’observation.
L’architecture hospitalière elle-même dialoguait avec le paysage. Construit en bois puis en brique, le sanatorium se dressait sur une butte, avec une orientation maximisant la lumière et les vents salubres. Le jardin, en contrebas, devenait une extension du soin, un prolongement du bâti par le vivant.
